Paresseux, mal polis, illettrés, arrogants, anglicisés culturellement mais pas vraiment polyglottes, irrespectueux, désillusionnés, insensibles, anxieux, blasés… Voilà une description bien peu reluisante de cette jeunesse moderne et généralement utilisée par les autres générations. Ces générations qui ont tant fait avancer la société, qui ont tant travaillé, qui ont tant fait une différence pour rendre le monde meilleur… (Soupçon de sarcasme, ici)

 

Franchement, je ne crois pas que cette énumération reflète la Jeunesse. Pour moi, qui approche à trop grands pas de ses cinquante ans, « les jeunes » ont en bas de vingt-cinq. Et tous ceux que je connais n’ont absolument rien à voir avec les premiers mots de cette chronique qui, selon moi, parlent davantage des « adolescents » que des « jeunes ».

 

Je citerai en exemple, mes employées

Elles ont entre quinze et vingt-deux ans. Allumées et stimulées, elles parviennent à jongler avec toutes les balles : études, amis, amours, argent, rêves, déceptions, santé, famille… Franchement, c’est incroyable de les voir aller.

 

Bon, je vous mentirais si je ne vous disais pas que parfois, des petits relents d’adolescence entachent la note parfaite que je voudrais bien leur accorder : ça se laisse un peu traîner, ça oublie, ça s’éparpille, ça jase… mon Dieu! que ça jase, cinq filles ensemble! De vraies pies! Mais en même temps, ça trime dur, ça éclate de rire, ça s’envoie promener de temps en temps, mais ça se réconcilie immédiatement. Je suis convaincue que j’ai sous les yeux un échantillon de la grande majorité de nos jeunes Québécois. Ils ne peuvent pas tous vouloir entrer dans des gangs de rue, décrocher de l’école en deuxième secondaire, penser que la vie est un jeu vidéo et ne pas se soucier des êtres humains qui les entourent. Je suis incapable d’envisager une jeunesse si disloquée. Parce que celle que je connais est lumineuse et attachante. Une jeunesse éduquée, soutenue par des adultes aimants.

 

J’aime à croire que mes trois petits marsouins seront à ce point épanouis, après cette terrifiante adolescence que je redoute tant. J’exagère à peine : c’est comme si je voyais l’orage gronder au large et que je sais, je sais qu’on va devoir le traverser. Trois fois. Je vais traverser l’adolescence trois fois. Misère. Mais ça, ce sera l’objet d’une autre chronique. Ce que je veux exprimer ici, c’est que l’adolescence ne définit pas la Jeunesse dans son ensemble. Il y a un avant, il y a un après.

 

Mes cinq employées en sont presque toutes rendues de l’autre côté de l’orage. Des problèmes sont résolus, d’autres surviennent; je crois qu’elles sont outillées pour y faire face. Bravo à leur famille, à leurs amis, à leurs enseignants : ils leur permettent de devenir ce qu’elles ont envie d’être et c’est formidable. C’est ça, pour moi, la jeunesse : une liberté dans tout. On choisit ses liens. On apprend ses limites.

 

Il est certain que je continuerai à passer derrière elles, en bonne patronne au caractère un tantinet irritable que je suis. « Les filles, ramassez-vous. Ça fait cent fois que je vous le demande. Les filles, nettoyez votre plan de travail. Les filles, lavez vos tabliers. Les filles… » Et c’est là que l’on découvre le véritable talent des jeunes. Leur pouvoir ultime et impitoyable. Au-delà des murs de mon café, tous les jeunes de la création doivent certainement posséder ce don qui enrage toute personne en autorité : parent, professeur et patron, prenons garde! Car le jeune excelle… dans l’art d’argumenter.

 

L’argumentation. On lui demande de justifier une bêtise, le jeune nous fait un plaidoyer digne des grands procès. On dirait qu’il s’est préparé pendant des jours juste pour nous sortir sa tirade au bon moment, avec de la verve, du drame, de l’emphase. Je le vis avec mes propres enfants qui sont encore au primaire : se laver les mains avant souper et aider à mettre la table devient le prétexte à négocier avec l’énergie du désespoir. Et le pire. Le pire! C’est que trop souvent, leurs arguments se tiennent! La phrase qui tue pour la mère – ou la patronne – que je suis : « Tu ne peux pas comprendre! » Sous-entendu : « Tu es trop vieille pour comprendre ». Trop vieille?? Mais j’ai seulement quarante-neuf ans! Ah! Les jeunes…

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