Aller au dep, sortie de soirée d’autrefois

Le Dew Drop Inn, lac des 14 Îles. Juillet 1911.

Le dep pour dépanneur fait partie de nos vies nord-américaines. Sa panoplie d’offres et d’ouverture en fait aujourd’hui, un lieu d’accès à toute heure du jour. À Saint-Hippolyte, dans les années de 1940 à 1960, c’était aussi un lieu très prisé de socialisation.

 

Et dans ces petits commerces de proximité, plusieurs Hippolytois se sont initiés à l’économie naissante touristique. Certains pour subvenir aux besoins de leur famille, d’autres en ont fait un métier. (voir dernier paragraphe)

Caverne d’Ali Baba, hier comme aujourd’hui

« On trouve de tout au dépanneur! », entendait-on dans les publicités des dépanneurs Perrette 1 si populaires dans les années 1960. Déjà, à cette époque, nous étions loin du petit coin des maisons de pension près des points d’eau ou des cabanes à frites qui se transformaient lentement en dépanneur avec salle de danse. Les grands attraits de ces lieux étaient : les nouveautés et les grandes quantités, à portée des yeux et des mains. Pas facile alors de dissuader un enfant qui tient déjà l’objet convoité dans ses mains! Même tentation chez les ados à l’époque sans télé et ordi. Odeur alléchante des frites ou d’une friandise sucrée, musique entraînante du juke-box, table de billard, machine à boules et un besoin de socialisation dans des fantaisies de séduction et d’amourettes.

 

Un lac, un dépanneur et parfois plus d’un!

Pratiquement chaque point d’eau du territoire hippolytois avait son dépanneur près d’une plage ou d’un attrait touristique. Certains en possédaient même plusieurs. Au village, il y avait ceux de Jos. Gohier, de Cordelia Labelle et même celui du bureau de poste des Dagenais. Autour du lac de l’Achigan, celui de Paul-Émile Lauzon, du mini-golf des Dagenais, du Club sportif, Au vieux Chêne, chez Alvin Shaw, chez Damase et Jos Beauchamp, devenu le Pavillon et chez M. Guy (Marché du lac et dépanneur Michel).

Restaurant dépanneur Pine Croft, lac Connelly Nord, 1961.

Autour du lac des 14 Îles/Écho, le Do Drop-Inn et celui d’Arsène Boivin. Au lac Bleu on retrouvait Chez Pat Aubry et autour du lac Connelly, celui d’Eustache Lachance et Au rendez-vous du lac (Binette). On y retrouvait également le Pine Croft, le Restaurant des Nations et celui du Marché du coin et plus au nord, celui des Jacques du lac en Cœur. Et tant d’autres disparus qu’il faudrait répertorier avec les Hippolytois pour préserver la mémoire patrimoniale de Saint-Hippolyte!

Chez Paul-Émile Lauzon

Pauline Brisson 2 fait le récit d’une des soirées qu’elle a vécue dans les années 1940, au dépanneur Lauzon du lac de l’Achigan. « Nous allions au restaurant de Paul-Émile, chemin du lac de l’Achigan, raconte-t-elle, où on pouvait danser au son du juke-box, manger des frites et boire une liqueur douce. Le juke-box, ou phonographe automatique, offrait une grande variété de disques populaires, mais avant de mettre notre cinq cennes dans la machine, nous hésitions ordinairement entre deux choix : In the Mood ou Beer Barrel Polka qui étaient les deux disques les plus populaires cet été-là. Ce petit moment d’angoisse passé, il fallait voir avec quel entrain nous dansions le jitterbug sur cette musique boogie-woogie. » En 1944 la famille Jeté en devient propriétaire et lui donne le nom de Le rendez-vous laurentien. Les jeunes continuent à le fréquenter et leurs parents et villégiateurs viennent y déguster les excellents mets canadiens cuisinés par Madame Jetté.

Y apprendre l’anglais

Monique Beauchamp se rappelle aussi ses sorties au « dep ». « À l’adolescence, mes sorties se faisaient au Vieux Chêne, lac de l’Achigan et au dépanneur de M. Lefebvre. Nous allions aussi chez Ilke-Keke pour manger un hot-dog et danser sur la musique du juke-box. J’y ai même appris l’anglais au contact des moniteurs anglophones du camp Weredale qui s’y tenaient. » 3

 

Restaurant dépanneur Au Vieux chêne, lac de l’Achigan, 1960.

Chez Eustache Lachance

De son côté, Thérèse Labrosse 4 se souvient du dépanneur d’Eustache. « Quand j’avais 15 ans au lac Connelly Sud on se tenait en gang et on flânait autour du restaurant d’Eustache Lachance. On s’assoyait sur le banc dehors pour jaser et écouter de la musique sur nos “transistors à batterie”. Des fois, même s’il était fermé, il nous ouvrait. Ce n’était pas pour la vente ni le profit, on n’achetait rien! L’après-midi, on allait au Connelly Inn ou au Château Bleu, pour danser. Il fallait s’habiller chic, les filles mettaient des crinolines, c’était plus beau pour danser! »

Rituel familial d’une soirée d’été

Chez d’autres, le dépanneur était l’objet d’une sortie familiale. Pour Michel Corbeil, sa sœur Carole, leurs amis Benzoil et autres du lac Connelly Nord dans les années 1960, le « dep » faisait partie de la promenade de soirée. « Nous partions à pied sur la route de gravelle vers le restaurant Pine Croft avec nos lampes de poche. Là, nous y jouions à la machine à boules et observions les danseurs en action. Un sac de Humpty Dumpty® à la main et une Grapette®5 aux raisins. »  À Ia fin de la soirée, vers 21 ou 22 heures, le groupe reprenait à la noirceur la route du retour pour le dodo au chalet. En route, nous rencontrions une multitude de lucioles, ce qui était fascinant. Aussi, dans le milieu humide, près du ruisseau des LeCrenier, nous avions droit au concert tonitruant des ouaouarons. Chacun regagnait son camp pour dormir, baigné dans le silence. Il n’était jamais nécessaire d’en verrouiller la porte d’entrée. Tous avaient hâte au lendemain. »

 

1 Perrette : De 1961 à 1994, la laiterie Bazos opérait des dépanneurs connus sous les noms Puretest et Perrette et possédait 230 succursales au Québec. Elle a été acquise par Alimentation Couche-Tard, en 1994. Livre de Carl Renaud, Alain Bouchard: de Perrette à Couche-Tard, publication Argent,‎ 18 mars 2014.

2 Pauline Bisson, Parmi mes souvenirs : portrait d’une époque, les années vingt, trente, quarante, avril 1996.

3 Entrevue avec Monique Beauchamp, 2015.

4 Journal Le Sentier, octobre 1998.

5 Grapette® : Boisson gazeuse populaire des années 1940 à 1970. Sa saveur aux raisins était particulièrement reconnue. Sa grande popularité auprès des ados venait du fait qu’elle était vendue en format de 6 onces dans une bouteille transparente plutôt que dans le format habituel de 12 onces des boissons gazeuses. Plus accessible, car moins chère, le slogan qui la publicisait était : Soif ou non. Actuellement, la compagnie Wal-Mart qui a acquis cette marque de commerce y vend ses boissons gazeuses maison sous différentes essences.

Aline Lachance, la « dame du dep » nous a quittés

Qui se rappelle du petit dépanneur d’Eustache Lachance (1911-1989) actuellement coin de la rue des Mélèzes. Un des premiers établissements commerciaux au lac Connelly, on y trouvait de tout et bien servi en plus, par la famille d’Eustache et sa conjointe Aline qui vient de nous quitter à presque 100 ans.

 

Aline, de son nom de fille Deschambault, a été une pionnière du développement touristique de ce coin hippolytois. Dans sa grande maison de deux étages, coin des chemins des lacs Bleu et à l’Anguille, elle a élevé onze enfants et donné un coup de main au dépanneur familial situé en face. De ces lieux de passage, elle a vu se transformer le paysage agricole autour d’elle en « des » paysages touristiques. Des premiers aux petits « camps » rustiques en forêt et leur besoin d’huile pour la lampe, de glace pour la glacière et de bois pour le poêle, aux maisons secondaires actuelles, petits « châteaux laurentiens technologiques » aux parterres aménagés. Entre les deux, « des mondes » ont défilé sous son regard attentif de toutes ces transformations.

 

Originaire du chemin du Grand Héron à l’époque, chemin de la Rivière-du-Nord paroisse de Saint-Canut, on croise toujours aujourd’hui sur la ferme familiale à proximité de l’autoroute, la maison et la grange, maintenant près de la route élargie. Dans les champs, tout comme dans son enfance, élevée par sa belle-mère, broutent encore les vaches qui traversent la route pour dormir à l’étable.

 

Elle laisse dans le deuil pour la pleurer, ses enfants Gilberte, Pierrette (Gaétan), Lucienne, Louis (Claire), Louise, Lorraine, Marianne (Alban), Marcel (Jo-Ann) et Bruno dont plusieurs habitent la maison familiale et de nombreux petits et arrière-petits-enfants, neveux et nièces ainsi que de nombreux autres parents et amis.

Elle va rejoindre au cimetière paroissial son mari Eustache et ses fils, Robert et Michel.

 

Restaurant d’Eustache Lachance, debout derrière le comptoir. On reconnaît devant à gauche, Berthe et Laurette Lachance, Jeanne Paquette et Robert Vaillant, 1938.

Notre histoire patrimoniale a besoin de la richesse de vos témoignages

Le titre de cet article « Aller au dep, sortie de soirée d’autrefois* » est inspiré des souvenirs que Michel Corbeil, vacancier, Hippolytois de cœur depuis près de 70 ans et fidèle lecteur du Sentier, a généreusement partagés avec nous.

Le mois prochain, dans cette chronique, nous reviendrons sur la vie de la pionnière Aline Lachance, avec des photos et des témoignages recueillis de ses enfants, petits-enfants, nièces, neveux et amis.

Comme historien hippolytois, préoccupé de préserver notre mémoire patrimoniale collective je suis disposé à recueillir vos souvenirs, par écrit, par téléphone ou lors de rencontres informelles.

N’hésitez pas à me contacter : ledoux@journal-le-sentier.ca tél. pers. 450 432‑1137.