Cette chronique en sera une de tous les paradoxes : je suis une femme aimée, respectée et désirée et pourtant, je trouve la Saint-Valentin sans intérêt pour moi. Parce que dans mon monde, on se dit « Je t’aime » tout le temps. Parce que, par mon métier, fleurs et chocolats n’ont rien d’exceptionnel. Parce que tout au long de l’année, mon tendre petit mari me couvre d’attentions et de tendresse. Alors le 14 février, c’est pour moi une journée bien ordinaire.
Pourtant, au début de notre relation, mon cœur de jeune fille idéalisait le romantisme d’Hollywood; alors j’ai bien tenté de mettre la pression sur mon prétendant. Ce dernier était à la fois candide, inexpérimenté et désireux de plaire. Donc il y eut quelques cadeaux, quelques restos. Au fil des années, on finit par trouver un équilibre entre la pression sociale de fêter la Saint-Valentin et notre envie de le faire. Quelle devait être la couleur de cette célébration pour nous?
De plus, dès l’âge de dix-sept ans, je travaillais dans les pâtisseries-chocolateries de luxe; donc pour me surprendre, ledit amoureux devait travailler fort. Une année, il m’a même dit : Tu vends des chocolats dans ta boutique. Alors tiens, v’là d’l’argent. Achète-toi quelque chose! C’était sarcastique bien sûr et on en rit encore aujourd’hui. Mais c’était sa façon de me dire Que veux-tu que je te donne de plus pour te dire que je t’aime? Mon homme est pragmatique. Des fleurs, ça se fane. Des chocolats, tu en vends. Des dessous de dentelles, tu n’en portes pas. Tu voudrais pas un frigo à la place? Faudrait changer le nôtre… Vous comprenez? Mettre son argent au bon endroit. Zéro romantisme, me direz-vous? Il fut un temps où je le lui reprochais. Aujourd’hui, je suis en paix avec ça. Mon homme n’est pas un Don Juan. Il ne grimperait pas à mon balcon avec une rose dans la bouche et une cithare accrochée dans le cou. Mais il est présent pour moi et mes enfants, chaque jour. Son amour est immense et me comble.
Cette façon de penser nous appartient, à nous deux. Car nous ne ressentons pas le besoin de souligner la Saint-Valentin avec le grand jeu. Et pour comble de malheur, je viens d’une famille de bijoutiers alors qu’il m’offre un bijou… bof. Cette façon de voir est très personnelle et je ne porte aucun jugement sur le fait que pour beaucoup de couples, la Saint-Valentin est un jour hors de l’ordinaire. Un jour qui met l’emphase sur l’amour : on ne peut pas être contre!
Depuis que les enfants sont arrivés dans notre vie, et avec eux un lot impressionnant de bricolages en forme de cœur, le souper de Saint-Valentin est pétillant, la table tout en rouge et rose, une bouteille de mousseux, une fondue et une surprise thématique dans la boîte à lunch du matin. C’est simple, charmant. Ça nous convient. Chacun, en trempant sa fraise dans le chocolat, choisit de dire « je t’aime » à quelqu’un autour de la table et d’expliquer pourquoi. Il est arrivé que l’envie de dévaliser l’allée de bling-bling rouge du Dollarama me prenne, histoire de décorer la maison au complet. Cependant, en général, je me contente de la table.
Cela étant, n’oublions pas que je suis commerçante. C’est là qu’entre en jeu le fameux paradoxe : c’est évident que les ventes du 13 et 14 février font une différence dans mes poches! Oui, j’en vends, des chocolats, des fleurs et des gâteaux. À petits et grands prix. Pour certains clients, l’achat est spontané et fait plaisir, ça se ressent. Pour d’autres, c’est clairement une obligation sans grande conviction. Il y a ceux qui veulent seulement une petite pensée, de plus en plus souvent pour les enfants. Puis il y a ceux qui exigent la totale, budget illimité.
Paradoxalement, encore, je reconnais l’importance des fêtes qui ponctuent notre année. Culturellement et économiquement parlant. Célébrer sous différentes thématiques ou croyances contribue à garder nos sociétés soudées, tout en inspirant pour la plupart des sentiments précieux d’appartenance et de joie. Toutefois, il y a un équilibre entre souligner, par devoir, un événement précisément au Jour J et s’en inspirer les 364 autres jours. Pardonner et faire la paix, ce n’est pas seulement à Noël. Se déguiser et faire les fous, ce n’est pas seulement à l’Halloween. Se sentir fier d’être Québécois, ce n’est pas uniquement à la Saint-Jean.
Et se dire qu’on s’aime, se le montrer surtout, ça devrait se faire tous les jours. Avec ou sans chocolats.