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Entretien avec Jérôme Dupras, scientifique et musicien engagé

La veille de sa conférence au Centre des loisirs et de la vie communautaire, j’ai eu le privilège de m’entretenir avec Jérôme Dupras, professeur au Département des sciences naturelles de l’UQO et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en économie écologique. Nous avons discuté de son étude sur la valeur des espaces verts¹ et des solutions à la crise environnementale.

Il a d’abord précisé comment cette étude a établi un lien avec notre ville. « Comme scientifique, je me dévoue à la protection de l’environnement avec mon équipe, et je suis toujours à l’écoute des municipalités et des MRC qui veulent aller plus loin. […] Les gens de Saint-Hippolyte ont particulièrement apprécié ce type de regard sur la nature et je salue leur proactivité et leur intérêt à penser en dehors de la boîte sur la façon d’aménager notre territoire et le regard qu’on pose sur la biodiversité et les écosystèmes ».

 

Les espaces verts : un trésor économique méconnu

M. Dupras a mentionné que les espaces verts, en plus de leurs avantages pour la biodiversité et les loisirs, sont économiquement rentables. En effet, ils soutiennent des secteurs tels que la foresterie et le tourisme, bénéficiant ainsi aux communautés locales et à l’économie globale.

« La moitié du PIB ³ mondial dépend de la nature. Il faut avoir des écosystèmes en santé et qui sont résilients face aux pressions des changements climatiques à venir, des insectes ravageurs, etc. Alors quand on se penche sur la façon de bien comprendre l’état de santé de nos écosystèmes et les moyens de les aménager, on est en train de préserver ce capital national qui est la base de plusieurs secteurs économiques. » Cette étude a été réalisée afin de mettre la science en action, conformément à la mission d’Habitat², l’organisme que le professeur Dupras a co-fondé. Cette mission vise à accompagner les décideurs et les professionnels de l’aménagement du territoire pour protéger et restaurer la nature.

« Quand on voit une belle ouverture de collaboration et que les gens sont intéressés à ce type de réflexion, pour nous, c’est vraiment très naturel de le faire. C’est même au cœur de la mission de l’organisation qui est d’accélérer la transition écologique. On réussit cela quand on est ensemble, qu’on peut partager de bonnes connaissances, lorsque les gens sont là pour les appliquer et qu’il y a une motivation partagée. »

 

Les obstacles sur le chemin de la recherche

M. Dupras a souligné que le principal défi de tout scientifique est l’accès à des données précises. Une étude préliminaire régionale, en collaboration avec Abrinord, a contribué à la préparation de ces données. « Ça nous a beaucoup aidés. Ensuite, c’était de voir comment on pouvait les remettre au bon format et les harmoniser pour que ça cadre bien avec les objectifs municipaux. C’est notre travail habituel, on est capable de le réaliser, mais c’est toujours les données qui sont l’élément le plus limitant. »

 

L’art et la science au service de l’environnement

Être bassiste des Cowboys Fringants apporte une dimension artistique unique au profil de chercheur de M. Dupras. Comment cela a-t-il enrichi son approche ? « Je dirais que c’est plus le côté militant qu’artistique. Évidemment, c’est une étude scientifique, elle est robuste et tous les modèles sont éprouvés. Toutefois, de pouvoir dire qu’on fait ce travail-là pour une mission, celle de protéger la nature, que les citoyens soient plus en santé, que la ville développe ses espaces verts, ça fait partie de mon ADN qui est au cœur de nos chansons, de ma pratique scientifique et du travail qu’on réalise chez Habitat. C’est plus cette fougue environnementale qui anime science et art. »

 

Des résultats qui font réfléchir

À court terme, les développements résidentiels ou industriels mal planifiés peuvent détruire rapidement les milieux naturels, nécessitant une réflexion approfondie sur l’aménagement municipal pour minimiser les impacts. À moyen et long terme, les changements climatiques et la pollution systémique, appelés changements globaux, sont des menaces majeures pour la santé des écosystèmes.

« C’est une autre temporalité, mais il y a des recommandations qu’on peut mettre en œuvre aujourd’hui pour amener de la résilience dans le système. » Devant des pressions d’insectes ravageurs ou des menaces abiotiques, comme des sécheresses ou des ouragans, nous devons absolument diversifier nos forêts. « On a besoin d’avoir une diversité d’espèces qui va amener la forêt à pouvoir être mieux adaptée à ce cocktail de pressions qui est bien présent aujourd’hui, mais qui va s’accentuer dans les années futures. Ce qui saute aux yeux, c’est que protéger, aménager et restaurer les forêts, les milieux humides et les espaces verts, offre un impact considérable sur les changements climatiques en stockant des milliers de tonnes de carbone », explique M. Dupras. « En plus, ça génère de gros bénéfices qui sont évidents. Quand on met en place ces solutions nature, on a un effet sur les changements climatiques, mais aussi sur l’état de la biodiversité, sur la qualité de l’eau, de l’air, etc. Donc c’est ça qui est à garder en tête : la nature permet plusieurs services écologiques en même temps. »

 

Changer les mentalités

Certaines personnes accordent de l’importance à la préservation de l’environnement tout en ayant d’autres priorités. Dans ce contexte, M. Dupras insiste sur la sensibilisation plutôt que de la moralisation. Il affirme que son étude met en lumière la grande valeur de la nature dans divers aspects, notamment sa capacité à stocker du carbone et à maintenir la qualité de l’eau. « Je pense que, quand on en parle et qu’on amène ça dans le débat public, c’est une façon de vulgariser et de sensibiliser la population à cette nature-là, mais aussi aux pressions auxquelles elle est confrontée. » M. Dupras nous invite à bien comprendre l’urgence d’agir. La crise environnementale actuelle nous menace directement et nous sommes tous impliqués. C’est important de nous placer en mode solution et d’utiliser les moyens naturels pour protéger et aménager la nature et être plus résilients dans le futur. « Je pense que de mettre ça en chiffres, de savoir combien de tonnes de carbone et de sédiments sont séquestrées, de voir les impacts sur la qualité de notre milieu de vie, ça peut aider à sensibiliser. Après, chacun a ses propres activités, métiers et discussions avec son entourage, et si ça peut amener ce sujet dans le débat public et dans la réflexion des individus, pour moi, ce sera mission accomplie. »

 

Et les voitures électriques ?

En réponse aux préoccupations concernant la fabrication et l’élimination des batteries, M. Dupras affirme que la transition vers les véhicules électriques doit s’inscrire dans une logique de mobilité durable. Il ne s’agit pas de simplement remplacer l’essence par l’électricité, puisque le cycle de production est hyper polluant, mais d’envisager des solutions adaptées à chaque région. L’électrification des véhicules peut être la meilleure option dans les régions éloignées, mais pour les zones urbaines, d’autres solutions sobres en carbone telles que les transports publics et les pistes cyclables sont essentielles. « Il faut également avoir mis ce chantier-là en place pour qu’il influence le comportement des gens. Ça veut dire que le réseau doit être rapide, sécuritaire, emballant à utiliser. À mon avis, c’est en train de se construire; ce n’est pas parfait, mais il y a une résistance de certains milieux, et je pense qu’il faut aussi accepter les différents discours. »

 

 

Que viser pour l’avenir ?

Dans un horizon de 5 à 10 ans, M. Dupras souhaite voir une transition vers un modèle de développement durable. Il est essentiel de développer notre richesse, de renforcer notre tissu social et de nous adapter aux changements climatiques. « Ce sont des situations complexes et pour lesquelles il n’y a pas de solution unique. J’espère donc que les gens pourront être consultés et donner leurs propres impressions, leur vision du territoire, de l’innovation, de ce qu’on peut faire. Ça va conférer une empreinte locale à un défi qui est global. » C’est avec la contribution de chacun que l’objectif national de protection de 30 % du territoire du Québec et d’un autre 30 % pour la restauration écologique pourra être atteint.

Son conseil pour la population hippolytoise

« Le conseil que je me donne moi-même : aller en nature. J’amène mes enfants dans la forêt ; on va marcher, on joue. En fait, c’est aussi simple que ça. Quand on a créé une relation d’attachement avec la nature, quand on la découvre, on l’aime, on la connaît, eh bien, ensuite, on veut la protéger. Recréons ou développons cette relation être humain/nature, et je pense que ça va juste entraîner des choses positives par la suite. »

 

1: uqo.ca/nouvelles/13283

2: habitat-nature.com

3  produit intérieur brut