Gérants d’estrade

Un jour ou l’autre, nous le devenons tous. Et pas que dans le domaine du sport. Un gérant d’estrade c’est une personne qui se croit mieux qualifiée, plus compétente que le professionnel en face de nous. J’ignore si c’est propre aux Québécois, mais nous avons tendance à avoir le jugement facile, sans vraiment détenir toutes les informations qui nous permettraient de donner la leçon. Je n’irai pas sur le chemin social du sujet, je m’en tiendrai au jugement qui affecte les relations clients-commerçants.

 

Je ne vous mentirai pas : cette chronique est directement inspirée par ces opinions livrées librement sur les médias sociaux. Certaines ont du sens et sont constructives, cependant le danger dans une déferlante d’opinions, c’est qu’il y ait très peu de « faits » pour remettre les pendules à l’heure et calmer les ardeurs.

 

Exemple

On spécule sur le prochain commerce à ouvrir dans tel ou tel local. On ne comprend pas qu’un restaurant de tel type n’y ouvre pas ou qu’un magasin de grande surface ne vienne pas s’y établir, etc. La plupart des citoyens ne se sont jamais lancés en affaires et sont à mille lieues d’imaginer l’investissement en temps et argent pour ouvrir un commerce. Peut-être que ledit local n’a pas les installations septiques adéquates pour un restaurant et qu’il en coûterait trop cher de les changer. Peut-être que les permis gouvernementaux ne sont pas accessibles pour un tel projet à cet endroit. Peut-être que cette grande bannière de magasins doit respecter des standards de rentabilité et que leurs études rapportent un insuffisant bassin de clients potentiels. Un terrain vacant, un local à louer, et on se dit « Me semble que c’est pas compliqué d’ouvrir « ça » ici… » Probablement qu’investisseurs et promoteurs en ont évalué la faisabilité et que non, ce n’est tout simplement pas possible.

 

Autre jugement

« Pourquoi ce commerçant n’offre-t-il pas ceci ou cela? » Pistes de réponse : Il l’a peut-être essayé et ça n’a pas marché. Il a peut-être calculé et vu que cela ne serait pas avantageux. Il n’a peut-être pas la machinerie ou le personnel pour se lancer dans cette voie. Qu’en savons-nous, nous qui nous tenons à distance, passant devant les vitrines, en nous disant « Si c’était moi, je ne ferais jamais ça comme ça », « Si j’étais à sa place, je vendrais ça au lieu de ça ».

 

Je suis loin de dire que les entreprises font tout bon. Bien au contraire. Dans mon commerce, je suis consciente que beaucoup de choses sont à améliorer et je tente d’y arriver, un jour à la fois. Un projet à la fois. Il faut des poches assez creuses pour mettre en branle toutes les idées ébauchées dans le plan d’affaires initial. Je crois que l’important, comme entreprise, est de s’adapter à la demande sans pour autant renier notre personnalité d’affaires. Et c’est là tout le défi : croire tellement en sa vision et en son talent, qu’on parvient à faire des sceptiques, nos meilleurs clients. Autant pour le domaine de la restauration que de la coiffure, de la mode et de la rénovation…

 

Amateurs et experts

Le gérant d’estrade est généralement un passionné de quelque chose et à force de consommer un bien ou un service, il en vient à se croire expert. Je pense qu’il ne faut pas confondre « amateur » et « expert ». L’expert a des connaissances derrière la cravate. L’amateur a l’avantage de butiner chez tous les concurrents et donc, de comparer. Sincèrement, ils ont tout intérêt à s’entendre et mener l’expérience-client à un autre niveau. La clé est le respect. L’expert peut s’égarer ou se tromper et le client (ou l’amateur) a le droit de le ramener à l’ordre. Sans esclandre. Sans grandes envolées tapées sur un clavier chauffé par la frustration ou l’incompréhension.

 

Mes clients me disent parfois : « Vous devriez faire ceci, cela… ». Ces conversations sont toujours agréables, car elles me permettent d’expliquer mon point de vue et d’enlever toute ambiguïté. De couper court à une insatisfaction qui pourrait se répandre sinon. Et il m’arrive de répondre « Ah ben. Je n’y avais pas pensé. Merci de l’idée! » Cet échange serait difficile à glisser dans une suite de commentaires anonymes réunissant plus d’avis que d’informations, sur un écran de téléphone.

 

Nous avons droit à nos opinions et c’est un formidable luxe de pouvoir les partager. Mais sans jugement, c’est toujours mieux.

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